Hôte six mois durant des savanes africaines où il côtoie éléphants et girafes, le busard cendré revient vers ses sites de nidification européens début avril. Aussitôt débutent les parades nuptiales destinées à séduire une femelle ou à resserrer les liens d'un couple déjà formé sur ses quartiers d'hivernage. Le nid, ou plutôt l'ébauche de cuvette qui remplit cet office, est installé à même le sol et les 4 oeufs sont pondus durant la deuxième quinzaine de mai. L'incubation dure 4 semaines et les jeunes prennent leur envol au bout de 4 à 5 semaines durant le mois de juillet. Ceci les ammène rapidement au mois d'août, date de la migration retour vers l'Afrique qui bat son plein dans la deuxième quinzaine de ce mois.
La répartition du busard
cendré en France comprend 3 zones principales : le Centre-Ouest
où il niche encore dans des zones de marais, le sud du
Massif Central où il est majoritairement présent
dans les causses et le quart nord-est où la nidification
a lieu pratiquement exclusivement dans les cultures. Il niche
également çà et là en Bretagne et
dans le Nord.
Le busard cendré est à l'origine un rapace se reproduisant
dans les marais et les landes. Si ces dernières existent
encore, les zones marécageuses ont par contre pour la plupart
disparu, drainées à l'aide de subventions publiques
par nos agriculteurs qui se sont empressés de les transformer
en champs de maïs. Le busard cendré a su s'adapter
- notons au passage que cette faculté d'adaptation lui
a permis de ne pas disparaître complêtement - et niche
désormais en majorité dans les champs de céréales,
orge d'hiver, colza et blé, qui sont les seules parcelles
suffisamment végétalisées au moment de son
arrivée en avril.
L'observation du busard cendré
en maraude est un spectacle fascinant tant cet oiseau léger
vole avec grâce, se laissant déporter par le moindre
souffle de vent. Ce vol papillonant permet d'ailleurs, pour un
oeil averti, de le différencier du vol plus lourd du busard
Saint-Martin.
Il faut désormais se rendre en pleine campagne, dans les
vastes zones de cultures pour apprécier, sous le soleil
de l'été, la souplesse de son vol. Comme les autres
busards, il parcoure inlassablement des kilomètres au ras
du sol et cette prospection méticuleuse de son territoire
peut parfois l'emmener à des kilomètres de son nid.
Oiseau de plaine chassant en volant
à quelques mètres de hauteur, le busard cendré
scrute méthodiquement le sol pour surprendre ses proies,
interrompant brusquement son vol de prospection pour se laisser
tomber sur l'animal convoité. Celles-ci sont le plus souvent
des micrommamifères (campagnol, mulot,...) mais aussi des
passereaux «terrestres» comme les alouettes, les pipits
et les bruants (surtout les jeunes non volants et leurs oeufs),
ainsi que des jeunes perdrix, faisans, lapins et même lièvres
si l'occasion s'en présente. Les petits reptiles (lézards,
orvets et jeunes couleuvres) et les insectes de bonne taille (sauterlles,
criquets, hannetons, carabes,...) représentent une part
importante de son régime alimentaire, surtout dans les
régions méridionales.
Paul Géroudet signale que «Sauf exceptions, ce rapace
ne poursuit pas les oiseaux ; ceux qui ont la présence
d'esprit de s'envoler sur son passage sont sauvés.»
Dans les Corbières, j'ai donc eu la chance d'assister à
cette scène rare : suivant aux jumelles le vol de prospection
d'un busard cendré, je l'ai vu faire s'envoler devant lui
une alouette des champs posé au sol et la poursuivre nonchalamment
tandis que celle-ci prenait rapidement de l'atitude en fanfaronnant,
tant elle était sûre de distancer ce busard lymphatique.
Au moment où je pensais que le rapace allait rebrousser
chemin, l'alouette, fatiguée par l'effort violent qu'elle
venait de fournir, stoppa net son vol ascensionnel pour se laisser
tomber sur le sol. Le busard, qui n'était qu'à quelques
mètres sous ellle, se «réveilla» d'un
seul coup, et, en deux à trois battements d'ailes énergiques
et profonds, rattrapa le passereau et le saisit dans ses serres.
La scène n'avait duré en tout que deux à
trois minutes et je restais ébahi et interloqué
du peu de résistance de l'alouette qui d'habitude peut
rester en l'air bien plus longtemps. Peut-être est-ce le
fait de voir le rapace monter lentement mais sûrement sous
elle qui l'a incité à plonger vers le sol ? Bien
mal lui en a pris en tout cas.
Par rapport au busard Saint-Martin, le busard cendré possède une silhouette et surtout des ailes plus fines qui lui confèrent davantage de grâce en vol. Dans le détail, le mâle possède des stries brunâtres qui descendent sur sa poitrine et son ventre et surtout deux barres alaires visibles sur le dessus et le dessous de l'aile. La teinte générale grise est plus foncée que chez le Saint-Martin et l'oiseau apparaît plus sombre. La femelle est plus difficile à distinguer et sa silhouette plus élancée est le critère le plus facile à apprécier à distance.
Le busard cendré n'émet guère de cris et les seules audibles sont émis lors de la parade nuptiale ou par la femelle quand elle pourchasse un autre rapace volant trop près de son nid.
Comme beaucoup de rapaces, le
busard cendré a longtemps été décimé
par l'homme et la loi le protégeant a permis d'arrêter
ce massacre. Malheureusement, à la fin des années
1990, des voix se sont à nouveau élevées
parmi les chasseurs les plus arriérés pour pouvoir
à nouveau le détruire sous le falacieux prétexte
qu'il serait à l'origine de la disparition de la perdrix
dans bien des régions de plaine. Il est évident
que la régression de la perdrix est uniquement due à
l'agriculture intensive qui détruit les haies et les couverts
où elle pouvait nicher entre deux cultures, et qui empoisonne
les insectes et les graines qui forment l'essentiel de sa nourriture.
À partir de là, il est vrai qu'il est plus simple
d'accuser le busard cendré que d'affronter les agriculteurs
et de leur demander de changer leurs méthodes de culture,
d'autant plus que la plupart de ces chasseurs revendicatifs sont
les mêmes agriculteurs qui exploitent ces vastes étendues
stériles qui sont autant de déserts biologiques
où ni les busards, ni les perdrix ne peuvent survivre.
Mais quand on sait le poids politique des chasseurs en France,
le busard cendré a de quoi s'inquiêter d'autant plus
que certains braconniers se disant chasseurs, forts de leurs convictions,
estiment qu'ils peuvent outrepasser la loi pour en abattre quelques-uns.
Et pourtant le busard cendré n'a pas besoin de ces excités
de la gachette qui ne comprennent rien aux équilibres de
la nature pour faire partie des espèces menacées
de France. Depuis leas années 1970, il est en effet artificiellement
maintenu en vie dans bien des endroits de France par une foule
de bénévoles de diverses associations de protection
de la nature. Ces derniers se chargent de surveiller les nids
situés dans des cultures et les déplacent dans un
autre champ lorsque l'agriculteur débute la moisson. Sans
cette intervention qui mobilisent des milliers de personnes en
France au début de l'été, le busard cendré
aurait bel et bien disparu de nombreuses régions car là
où les marais ont tous disparu, les cultures représentent
l'unique site de substitution. Évidemment, la reconstitution
de ces marais serait la meilleure et la plus durable des solutions
mais c'est un projet qui n'est pas encore envisageable à
l'heure actuelle.