L'année de la cigogne blanche
En dehors des régions où sont présents toute l'année des individus semi-captifs issus de programmes de réintroduction, la cigogne blanche est un oiseau migrateur dont les déplacements la mènent en Afrique au-delà du Sahara dans la région semi-désertique du Sahel. Les périodes de migration débutent au printemps fin février et à l'automne début août. Cette précocité relative engendre chaque année les mêmes réflexions sur le fait que le printemps est en avance ou que l'été est déjà fini alors qu'il en est ainsi depuis toujours Les premières cigognes blanches réapparaissent donc dans nos cieux dans les derniers jours de février, mais le gros des troupes déferle en Europe occidentale en mars-avril, laissant quelques migrateurs attardés en mai. Le nid de l'an dernier, installé sur le toît d'une maison, au sommet d'un arbre ou d'un pylône, est réapprovisionné en branchages dès le retour des adultes. La ponte de 3 à 5 ufs a lieu entre la mi-mars et la fin avril. Leur incubation dure un peu plus d'un mois (33 à 34 jours), puis les jeunes sont nourris au nid pendant 2 mois supplémentaires avant de prendre leur envol. Dès la fin juillet, et cela jusqu'en septembre, les oiseaux se rassemblent et entament leur migration en troupes comprenant parfois plusieurs dizaines d'individus.
Après un fort déclin qui a débuté
au lendemain de la seconde guerre mondiale et qui a connu son apogée
au milieu des années 1970, les populations françaises et suisses
de cigogne blanche se sont progressivement reconstituées au point de
retrouver à la fin des années 1990 leurs effectifs du milieu du
siècle. L'espèce niche à nouveau en Belgique après
un siècle d'absence. 150 couples étaient installés en Suisse
à la fin des années 1980 alors que la population française
atteignait 315 couples en 1995. L'Alsace, même si elle représente
50% de la population française, n'est plus la seule région à
accueillir les cigognes blanches en nombre. La façade atlantique représente
désormais un bastion important (Charente-maritime et Gironde) ainsi que
la Basse-Normandie. Des nidifications sont désormais notées un
peu partout dans le pays.
Pour s'établir dans une région, la cigogne blanche a besoin de
vastes étendues de prairies humides, de marais, de prés et de
cultures où elle peut trouver sa nourriture préférée
en abondance. Un pylône équipé d'une plate-forme implanté
dans ce type de milieu peut alors suffir à obtenir sa nidification.
Oiseau peu farouche envers l'homme, la cigogne blanche est, dans les régions où elle est présente, un des grands échassiers le plus facile à observer. L'image d'Épinal est bien entendu celle d'un couple craquetant sur le toit d'une bâtisse alsacienne, même si les cigognes se reproduisent désormais un peu partout en France et de préférence sur des pylônes équipés de plates-formes à leur intention. Mais il existe d'autres observations toutes aussi intéressantes comme celle d'un couple se nourrissant dans une prairie humide et surtout celle d'une troupe prenant inexorablement de l'altitude dans une ascendance thermique.
La cigogne blanche se nourrit au sol dans les prairies humides principalement, dans les labours, les prés pâturés par le bétail, parfois les vasières en bord d'étang et les marais. Sa nourriture préférée est constituée de grenouilles, d'insectes (sauterelles, grillons, coléoptères,) et d'autres invertébrés (escargots, limaces, vers de terre,) qu'elle happe à l'aide de son long bec lorsqu'elle déambule dans ces milieux. Les petits rongeurs sont quant à eux chassés à l'affût. Les poissons ne représentent que des proies occasionnelles. Les criquets migrateurs sont ses proies favorites en Afrique.
Oiseau de grande taille, la cigogne blanche se reconnaît aisément à la blancheur immaculée de sa tête, de son cou, de son corps et de sa queue. En vol, les ailes présentent un fort contraste entre l'arrière noir et le devant blanc, ceci aussi bien vu par dessous que par dessus. L'adulte possède un bec et des pattes rouge vermillion. La confusion peut se produire chez le néophyte avec la cigogne noire dont la répartition des couleurs est pourtant pratiquement inversée, et avec le héron cendré dont le cou et la poitrine sont parfois très blancs.
En dehors du périmètre de son nid où sa présence ne passe pas inaperçue et permet à ses voisins de ne pas posséder de coq pour annoncer le lever du jour, la cigogne blanche est totalement silencieuse. Il n'en est pas de même lorsque les deux adultes se retrouvent après leur longue migration printanière, période où les craquètements redoublent d'intensité et de fréquence. Ces claquements de bec très rapides et très sonores se produisent tout au long de l'élevage des jeunes et servent de cérémonial lorsque les adultes se retrouvent au nid, soit pour apporter de la nourriture, soit pour se relayer lors de la couvaison des ufs ou des poussins.
Comme tous les grands échassiers, la cigogne
blanche bénéficie d'une protection totale par les lois de nos
différents pays. Considérée depuis toujours comme un oiseau
porte-bonheur, ces textes de loi n'ont fait que renforcer une protection de
fait. Et pourtant, cette espèce a connu une spectaculaire chute de ses
effectifs dans toute l'Europe occidentale qui a failli mener à son extinction
en France et en Suisse. Une forte mortalité hivernale en Afrique transsaharienne
associée à une mortalité lors de la migration liée
aux électrocutions et collisions sur le réseau électrique,
a failli avoir raison de ce bel échassier. Ajoutez à cela la disparition
des zones humides où elle se nourrissait, et vous comprendrez mieux pourquoi
il ne restait plus que 9 couples en Alsace en 1974 contre 177 en 1947. L'expansion
naturelle notée aujourd'hui dans tout l'Ouest de la France, conséquence
des meilleures conditions d'hivernage au Sahel et de l'augmentation et de l'essaimage
de la forte population espagnole, associée aux introductions d'oiseaux
semi-captifs çà et là dans différentes régions,
ont permis à la cigogne de retrouver à la fin des années
1990 ses effectifs du milieu du XXème siècle, aussi bien en France
qu'en Suisse.
© Hervé MICHEL 2004